13 novembre, la vie après : le témoignage d’une "maman du Bataclan"
Nadine Ribet-Reinhart est la maman de Valentin, 26 ans, tombé sous les balles des terroristes le 13 novembre 2015. Médecin, mère de trois enfants, elle raconte la vie après le 13 novembre, entre le quotidien qui doit suivre son cours et la vie de mèreengagée.
Valentin Ribet était avocat depuis un an, et on lui prédisait un bel avenir avec sa fiancée Eva, qui partageait sa vie depuis six ans. Ce soir-là, ils étaient au bataclan, venus assister au concert des Eagles of Death Metal. Pour vibrer un peu plus, comme des jeunes fans de musique, ils s’étaient placés dans la fosse. 45 minutes après le début du concert, les terroristes sont entrés et tout a basculé.
Informés via Facebook
Son fils cadet, Maxime, qui vit à Londres, est revenu en urgence au domicile familial pour annoncer la nouvelle, soutenir toute la famille et faire les démarches nécessaires. Ils posteront, comme de nombreux parents, la photo de Valentin sur les réseaux sociaux. Ce soir-là, ces réseaux vont jouer un rôle majeur. C’est avec Facebook que Nadine et ses proches apprendront qu’Eva a pu s’échapper et qu’elle a été secourue par une gardienne d’immeuble, avant d’être hospitalisée vers 3 heures du matin, pour être opérée de ses blessures.
Il y a eu une fusillade au Bataclan, Valentin et sa fiancée y sont.
La maman de Valentin apprendra la mort de son fils le samedi matin. N’ayant pas de nouvelles avant, ils se sont vite doutés que c’était grave. Comme beaucoup de proches des victimes, la famille n’aura pas d’annonce officielle.
Le début du deuil
« Une mort bouleverse la vie de tout un entourage ». Ce sont ses premiers mots lorsqu’il s’agit d’évoquer le deuil de son fils.
Samedi 14 novembre, une autre vie démarre. La famille de Valentin se rend à l’Institut médico-légal. La mort de Valentin devient officielle, concrète.
Une longue phase de deuil commence, Nadine passe par différentes étapes.
Notre vie a basculé plusieurs fois.
Elle détaille : « La première fois, quand Valentin nous a quittés, puis une autre fois lorsqu’on a réalisé qu’on ne le verrait plus jamais, qu’il était au début de sa vie d’avocat, qu’il n’aurait jamais les enfants qu’il aurait dû avoir avec Eva. Puis la vie bascule encore lorsqu’on réalise qu’il s’agit d’un meurtre de masse et qu’il faut absolument se mobiliser. »
Après l’effroi, avec le soutien de son mari, la mère de Valentin devient très vite engagée et combative, pour son fils et pour tous les jeunes qui ont péri.
Je suis une maman du Bataclan.
Cette phrase est, comme Nadine Ribet-Reinhart le dit, un élément de langage qu’elle s’est créé pour mettre des mots sur ce qui lui est arrivé, sur son nouveau statut, sa nouvelle vie. Mais elle insiste sur un point : « Je suis une maman du Bataclan, comme il y a des papas du Bataclan, des fiancées du Bataclan, des enfants du Bataclan. » Avant de poursuivre : « Il n’y a pas que le Bataclan bien sûr, il y a les terrasses, le stade de France, et tout ce qui a suivi : Bruxelles, Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray et les deux policiers à Magnanville. »
Elle tient à préciser une chose qui lui semble essentielle : « On n’est pas le centre du monde, mais c’est quelque chose d’incroyable. »
Un quotidien bouleversé
Après le choc puis l’envie de comprendre, les proches des victimes se redressent. Il faut poursuivre et s’engager de deux manières. D’une part, le devoir de rester fort. Ça passe par la reprise rapide du travail, et aussi, la lutte contre les contraintes administratives et autres dysfonctionnements qui ajoutent au malheur (les relances des impôts, le choc que peuvent parfois provoquer les médias dans le traitement de l’info).
D’autre part, tenter de comprendre ce qui s’est passé, parler aux médias pour rétablir la vérité et lutter contre la récupération des politiques qui peut s’avérer indécente pour les proches. Le tout en veillant à ce que tout le monde se souvienne de ces victimes.
Nadine Ribet-Reinhart précise qu’elle a repris ses activités professionnelles dix jours après le 13 novembre. Passionnée par son travail de médecin, elle reconnaît avoir été aidée par l’amour de son métier bien qu’elle reconnaisse des difficultés à se concentrer. En revanche, elle a horreur de ceux qui disent « La vie continue, on résiste, on est en terrasse. » Selon elle :
Résister, ce n’est pas être en terrasse, c’est le combat qu’on mène pour la vérité, pour comprendre.
Désormais, Nadine divise ses journées en deux : le travail la journée, et les matinées et les soirées consacrées au devoir de mémoire, à son enquête personnelle et ses combats.
Elle doit composer entre la routine qui consiste à faire ses courses, payer ses factures, aller travailler, et le quotidien tourné vers le 13 novembre. Une vie scindée en deux, entre cette obligation de continuer et le temps qui s’est arrêté depuis la mort de Valentin.
Il y a vraiment un avant et un après. Quand je prends du recul et que je me regarde, je me dis que maintenant, on est totalement différent. On est à la fois dans le deuil et dans la quête de vérité.
Courageuse et opiniâtre, elle avoue avoir mauvais caractère et s’en servir au profit de ses combats. « Après ce qui nous est arrivé, il faut se ressaisir. Il faut rester digne. Pour nos enfants disparus. »
Au-delà du quotidien séparé en deux, elle se partage aussi entre la mère en deuil, la femme forte qui veut obtenir des réponses, et la femme de tous les jours qui aime plaisanter, qui ne se laisse pas abattre et qui reste disponible pour ses autres enfants.
Le besoin de se souvenir
La mère de Valentin ne parle pas que pour elle, mais au nom de tous les parents et pour tous ces enfants partis trop tôt. Elle juge les commémorations importantes et nécessaires.
Ce n’est pas acceptable qu’un jeune de 26 ans soit mort pour rien. Tous ces jeunes ont été tués parce qu’ils étaient heureux et libres.
Elle considère son engagement comme un combat collectif qu’elle mène avec les autres parents au sein de l’association Fraternité et Vérité créée après le 13 novembre. Avec eux, elle réalise aussi qu’elle n’est pas seule.
Il est indispensable de ne pas rester seule avec son malheur.
Altruiste, Nadine n’oublie jamais les autres, elle se tourne vers eux. Elle pense aussi à ses proches, son mari et ses deux enfants Léa et Maxime qui l’entourent. Si elle est malheureuse et tente de faire son deuil, elle juge indispensable de rester digne et agréable pour eux.
Une vie qui a changé du tout au tout, et qu’elle tente de se réapproprier par de multiples efforts, mais aussi par la maîtrise de ses sentiments. Comme un leitmotiv, Nadine conclue :
Il faut lutter contre l’oubli et obtenir justice.
Battante jusqu’au bout, Nadine fait de son implication un combat collectif. Portée par son mari et ses enfants, Nadine a réalisé combien elle était bien entourée, de ses amis proches aux parents d’Eva en passant par les amis de Valentin et ses collègues de travail.
Au delà de cette volonté de justice, la famille de Valentin a souhaité qu’il reste porteur de vie et d’espoir. Depuis décembre 2015, une fondation créée sous l’égide de la Fondation de France a vu le jour. Elle a pour objet de lutter contre l’obscurantisme et l’illettrisme en développant des actions d’accès à la culture et à l’éducation : fondation-valentin-ribet.org
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