Leïla Bekhti : "Même par amour, on fait parfois les mauvais choix"
À certains chapitres de notre rencontre, elle « parle la bouche fermée, parce que le cœur s’en mêle », comme elle le chante dans Le Sens de la famille, en tandem avec Grand Corps Malade. Lorsqu’elle évoque ses enfants dans un sourire ému, par exemple. Leïla Bekhti est pudique, mais pas en retenue. Au contraire, elle apparaît spontanée, même enthousiaste à l’extrême quand il s’agit de philosopher sur le sentiment amoureux ou le sens de l’amitié. Naturelle et accessible, à l’image de cette « bonne copine » qui, par-delà l’épaisseur de la Toile, du téléviseur, ou de l’écran de smartphone, nous a appris ces dernières années à danser notre drôle de vie dans les rues fantômes, imiter Céline Dion avec un ventilateur ou Little Richards avec un peigne.
Parfois, dans la même réponse, Leïla Bekhti se montre drôle puis bouleversante. Ou dans l’autre sens. Voilà deux autres « contraires » qu’elle sait unir. Peut-être sait-elle tout jouer car elle sait tout éprouver. Tout vivre intensément. Parce qu’elle mesure sa chance d’osciller entre comédies à succès et cinéma d’auteur, d’être en haut des affiches – elle joue dans deux longs-métrages actuellement en salle. L’actrice s’émerveille encore de ce qui lui arrive, avec une émotion non-feinte, presque une gêne d’être très si présente.
Dès ce mercredi 5 avril, les visiteurs des salles obscures la découvrent dans C’est mon homme de Guillaume Bureau en photographe des années 1910, qui survit à l’absence de son époux sur le champ de bataille grâce à l’espoir de le retrouver un jour. Il reviendra, mais différemment, sans identité, sans souvenir d’elle ou de leur amour. Comment prouver que ce soldat amnésique (Karim Leklou) est son homme, alors que le personnage de Louise Bourgoin est tout aussi capable de le démontrer ? C’est au spectateur d’enquêter, de se laisser emporter par l’une de ses deux très jolies histoires d’amour… Comme ce scénario inspiré de faits réels a emporté l’actrice, qui nous en parle avec passion. Rencontre.
La force du cœur, par Leïla Bekhti
Marie Claire : Qui est cette femme que vous incarnez dans C’est mon homme ? Vous ressemble-t-elle ? Quels sont vos sentiments à son égard ?
Leïla Bekhti : Une femme prête à tout par amour. J’ai adoré joué une grande amoureuse. J’aime l’idée d’aimer, et je crois que j’aime comme elle aime. Avec espoir et convictions. Elle a attendu son époux disparu toutes ces années de guerre… Elle est persuadée qu’il est ce soldat amnésique retrouvé. J’ai essayé de ne pas la juger, surtout. Il ne faut jamais juger les personnages que l’on joue.
Je n’ai pas pour autant pas cherché à lui trouver constamment des circonstances atténuantes. Même par amour, on fait parfois les mauvais choix. Comme lorsqu’elle propose au personnage de Louise Bourgoin, qui pense elle aussi que cet homme sans souvenir qu’incarne Karim Leklou est son homme, de la payer pour qu’elle disparaisse.
Pour mes enfants, je ressens une force décuplée dans le ventre, je deviens Hulk.
Vous dites « aimer sa façon d’aimer » ? Comment aimez-vous ?
Il n’y a rien de pire que de convoquer des souvenirs qui ne sont plus. D’être seule avec ses souvenirs. De les penser, rêver, revivre… seule. Et j’incarne cette femme seule face à sa recherche. Personne ne la croit.
J’affectionne ces personnages qui se retrouvent seuls face à la meute. Une force surgit d’eux. Cela va faire très cliché, mais c’est la force du cœur. On le dit souvent : « L’amour donne des ailes ». Pas seulement dans le sens où l’on s’envole, on plane, et on trouve que la vie, c’est génial, non. L’amour créé aussi une force dans le ventre. Je ne fais pas uniquement référence aux sentiments que l’on éprouve pour un partenaire. Je pense à l’amour que je porte à mes enfants, par exemple. Pour eux, je ressens cette force décuplée dans le ventre. Pour eux, je deviens Hulk. [Elle imite le super-héros avec ses poings serrés et la poitrine bombée.]
Il s’agit d’un rôle d’époque, au sortir de la Première guerre mondiale. Mais cette femme que vous interprétez semble déjà être de l’époque d’après.
Dans ce rôle, je clope, porte des pantalons, conduit. Ce qui est assez fou pour cette époque. J’ai aimé joué cette femme moderne, avant-gardiste. J’aime surtout ne pas être enfermée dans des cases avec mes personnages. Tout comme dans ma vie personnelle d’ailleurs.
Il ne devait pas être facile pour Louise Bourgoin comme pour vous de jouer ces deux femmes convaincues, tout en maintenant le suspens, mais la mission était aussi complexe pour Karim Leklou…
Karim Leklou a dû jouer tout au présent, puisque son personnage ne sait absolument plus qui il est. Le film nous dit d’ailleurs, aussi, que le cœur tombe amoureux de qui il veut, quelque soit son passé ou ce qu’on lui raconte. Ce n’était pas facile, mais il est brillant. De toute façon, « Karim Leklou brillant » est un pléonasme. Même moi, quand je lisais le scénario, j’étais tenue par ce suspens, je tournais les pages en me questionnant [Elle prend sa tête entre ses mains: mais qui est-il, vraiment ? Victor, comme le personnage de Louise Bourgoin l’affirme ? Julien, comme je dois en être convaincue ?
En spectatrice, j’en étais également convaincue.
Vous allez dire la même chose à Louise Bourgoin. Je ne vous crois pas… [Elle rit.]
L’histoire oppose votre personnage à celui de Louise Bourgoin, sinon vous place face à face. Craigniez-vous de tomber dans le cliché de la rivalité féminine ?
Dans l’écriture de Guillaume [Bureau], on ne tombait pas dans ce cliché de la rivalité féminine. Je n’ai pas eu cette crainte à la lecture du scénario. Je découvrais plutôt deux femmes fortes. Mon personnage ressent même une forme d’admiration pour celui de Louise Bourgoin. Parce qu’elle aussi, se bat pour l’amour. On tomberait dans cet écueil s’il s’agissait d’une rivalité fondée sur leur physique, par exemple. Ici, ce n’est pas le cas : il s’agit seulement d’une rivalité du cœur.
Y a-t-il une autre époque qui vous inspire pour un futur rôle ? Dans laquelle vous souhaiteriez vous téléporter ?
Les années 70. Ça arrive…
Comédies d’amour et histoire d’amitié
C’est mon homme est un film à suspens et d’amour à la fois. Quels sont les indispensables ingrédients d’une romance pour qu’elle vous touche ?
Depuis l’enfance, je raffole des comédies romantiques. Après un film sur l’amour, j’adore l’idée d’être amoureuse encore plus fort. C’est beau quand un film donne envie d’aimer davantage. Et c’est celle-ci, selon moi, la vraie recette des comédies romantiques réussies. Devant mes préférées, je suis tombée amoureuse, comme le personnage, j’ai été triste, comme le personnage. Et j’ai profondément aimé ce sentiment. Devant les Coup de foudre à Nothing Hill, Love Actually, Le journal de Bridget Jones, j’étais émerveillée. Je pense aussi au drame romantique Sur la route de Madison… Magnifique.
L’amour est irrationnel. On pourrait donc en faire des milliers des films sur l’amour. Il y en a d’ailleurs déjà beaucoup… Et puis, parfois, les plus belles comédies romantiques ne racontent pas forcément un couple.
Pas forcément un couple ? Transition toute trouvée : il y a quelques jours, le public qui vous suit fêtait les treize ans de la sortie en salle de Tout ce qui brille, la comédie sur l’amitié qui vous a révélée.
Oui, c’est tellement beau… Le film était révélé un 24 mars, et sur les réseaux sociaux, les internautes me l’ont rappelé ce jour-là. Eh bien voilà : Tout ce qui brille est l’une de mes comédies romantiques préférées.
Géraldine [Nakache] est l’un des grands amours de ma vie.
Quelles émotions vous parcourent lorsque vous rembobinez ces treize années passées, depuis votre César du meilleur espoir féminin pour Tout ce qui brille ?
Je pense d’abord à Géraldine [Nakache, qui a co-réalisé Tout ce qui brille, ndlr]. Sans faire de grand discours, nous étions encore ensemble samedi soir. Comme dans un couple, nous partageons des années de souvenirs. Treize années d’une amitié profonde. Nous avons l’une et l’autre évolué dans nos vies, nous sommes devenues mamans… Et c’est toujours là. La relation est intacte. C’est même encore plus fort entre nous. Géraldine est l’une des femmes de ma vie. L’un des grands amours de ma vie. On parlait d’écueil tout à l’heure… Dire : « Géraldine est ma meilleure amie depuis Tout ce qui brille » pourrait en être un. Mais il s’avère que c’est beau de trouver quelqu’un sur qui compter dans ce milieu dès ses débuts. Je n’oublie que lors de ce tournage – qui fut tellement important pour moi… -, elle m’a énormément appris sur ce métier.
Avec Géraldine, comme avec Jonathan [Cohen] ou Adèle [Exarchopoulos], j’ai la chance de vivre, partager des choses personnelles. Si on ne se parlait que de cinéma, si nos appels et nos problèmes ne se résumaient qu’à « J’ai un film qui ne se fait pas, merde ! », ce ne serait pas vraiment intéressant. On vit plein d’autres choses ensembles. Et c’est merveilleux. Grandir avec des êtres grands et bons comme eux m’élève.
Et pour les treize prochaines années ? Vos rêves, aspirations, ou angoisses ?
Je ferais simplement le vœu que tout cela continue. Car rien n’est acquis. Rien. Ce métier repose sur le désir [de réalisateurs pour des acteurs]. Et le désir, c’est assez irrationnel. Il n’y a pas de recette. Et puis, je vais chérir un rêve en particulier : refaire une comédie romantique avec Géraldine. C’est ça qu’il faut se souhaiter.
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