La rencontre d'après minuit avec Delphine Horvilleur : "J'ai fait des thérapies"
Chez qui débarquons-nous, en ce lundi de septembre à minuit vingt-cinq, en sonnant à l’interphone Horvilleur ? Chez la rabbine superstar, voix qui porte du judaïsme libéral ? Chez l’autrice à succès qui publie un nouveau livre, Il n’y a pas de Ajar. Monologue contre l’identité (Grasset), fiction théâtrale* ? Ou chez l’érudite qui dirige la revue Tenou’a et anime des ateliers de réflexion sur la pensée juive ? Ou encore chez l’ex-journaliste de France 2 ?
Un début de réponse qui n’en est pas une, une longue réflexion plutôt, se détache au début du livre : « C’est moi et tous les autres, c’est-à-dire tous ceux que je pourrais encore être. Pas question de décliner toutes nos identités. »
Delphine Horvilleur, après le succès de « Vivre avec nos morts »
Le chouette appartement parisien dort à poings fermés. Pour s’asseoir sur le canapé, il faut déplacer un tas de vêtements d’enfants qu’on imagine abandonnés pour enfiler un pyjama. Delphine H. vient de rentrer de la première d’Il n’y a pas de Ajar.
Elle prête sa voix à Abraham, fils imaginaire d’Émile Ajar, lui-même pseudonyme littéraire de l’écrivain Romain Gary. Bref, l’assignation identitaire, voilà ce qu’en fait Rabbi H. : une pépite d’humour juif où elle déconfine l’identité.
Ce soir, elle est rayonnante. Crevée. « Une infusion, ça vous va ? » « Nuit tranquille », c’est parti. Après Vivre avec nos morts (Grasset/ Livre de Poche), « un livre très lourd à porter » pour lequel elle a décroché ce jeudi 3 novembre 2022 le Renaud du Poche, elle a eu besoin de « s’émanciper », de « laisser libre cours à sa folie intérieure ».
L’autrice désigne un placard qui occupe un pan de mur du sol au plafond. « Il est plein des milliers de lettres que j’ai reçues. Les gens m’envoyaient des photos de leurs morts. Des récits de dizaines de pages sur le deuil impossible.’ N’empêche, elle a offert cet abri à l’éternité de la douleur.
Quand on décide d’accueillir les choses comme ayant du sens plutôt que comme fortuites, l’aventure de vie devient plus intéressante.
Cela donne une petite idée de la dignité et la force vitale qui animent la femme assise en face de nous. Dans le judaïsme, la mort a tout à voir avec la vie, et les fantômes sont compris dans le package. Les « dibbouk », c’est leur nom, vous collent à la peau.
« Chez les descendant·es de survivant·es, leur présence est démultipliée. Parfois, elle est bénéfique, parfois handicapante. Parfois, les fantômes font des blagues, des jeux de mots. » La nuit est leur monde. « Ce ne sont pas des fantômes qui viennent faire bouger une armoire, c’est plus subtil. On est hanté. »
Le fantôme de Gary a souvent visité la rabbine. « Il m’envoie plein de signes marrants. Je ne crois pas aux prophéties, mais on a toujours le choix d’interpréter ou pas. Quand on décide d’accueillir les choses comme ayant du sens plutôt que comme fortuites, l’aventure de vie devient plus intéressante. »
Delphine Horvilleur, petite-fille de survivant·es
La petite-fille de survivant·es choisit ce soir d’évoquer le fantôme de Gary plutôt que les dibbouk familiaux qui la hantent. Cet attachement au silence, elle le défend, à la manière d’une psychanalyste. « Beaucoup plus de choses passent mieux sans les mots. »
Des psychanalystes, elle en fréquente beaucoup, sa meilleure amie notamment, mais elle n’a jamais été en analyse. « J’ai fait des thérapies. »
Il fallait protéger l’enfant que j’étais de cette histoire, donc on n’en parlait pas.
Elle a souvent raconté le choc provoqué par la lecture de La nuit, d’Élie Wiesel, à 12-13 ans, en secret. « Il fallait protéger l’enfant que j’étais de cette histoire, donc on n’en parlait pas. Je savais mais je ne savais pas comment je savais, c’est mystérieux. »
Elle se revoit chez ses grands-parents lire à la lampe torche sous les draps. « Les ados lisent des bouquins de cul, vous voyez ? Moi, je lisais des livres de Shoah. » Vers 16 ans, elle a gagné le concours de la Résistance.
« J’ai déversé toute mon émotion de petite-fille de survivant·es. C’était censé être une copie anonyme que seuls les examinateur·rices liraient. Manque de bol, les correcteur·rices n’ont rien trouvé de mieux que l’envoyer à mon père, qui l’a envoyée à mes grands-parents. Cette copie a circulé dans ma famille alors que c’était un pur tabou. Mon grand-père m’a écrit une lettre, je mesure mes mots sinon je vais pleurer. ‘Ma grande petite Delphine.’ C’était la première fois que mon grand-père, un homme digne, me disait dans son langage pudique : je sais que tu sais, et tu sais que je sais que tu sais. On n’en a plus jamais parlé, jamais. »
Une interview à retrouver en intégralité dans votre magazine Marie Claire numéro 843 en kiosque le 9 novembre 2022.
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*Il n’y a pas de Ajar, mise en scène de Johanna Izard et Arnaud Aldigé, avec Johanna Izard. Du 13 au 23 décembre au Théâtre du Rond-Point, à 18 h 30. theatredurondpoint.fr
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