Interview 1h avec Sarah Abitbol : “Je suis en thérapie depuis près de vingt ans”

Deux ans après avoir révélé les viols subis à l’adolescence, la star du patinage fait son come-back, dans Holiday On Ice. Entretien avec une femme aussi résiliente qu’inspirante.

“J’ai longtemps été dans l’anti-vie à cause de mon violeur”

Public : Dès février, vous serez en tournée pour Supernova, le nouveau spectacle d’Holiday On Ice. Qu’allez-vous y faire ? Sarah Abitbol : Je propose deux numéros inédits, retraçant ma carrière. Mon metteur en scène, Yves Barta, a eu l’idée de déployer plusieurs élastiques avec des patineurs en noir, pour symboliser la toile d’araignée qui m’enfermait et dont j’essaie de me libérer. C’est un message d’espoir, un hymne à la vie !

Comment rendre beau votre drame ? 

En écrivant mon livre, j’ai employé le mot viol, ce que je n’avais jamais fait en trente ans. La suite logique était de m’exprimer avec mon corps, tant malmené. Je tiens à faire de ce malheur une force et une lumière.

Pour votre livre, Un si long silence, vous vous êtes replongée dans ce passé si douloureux. Cela vous en a libérée ? 

Oui. J’étais dans la honte et la culpabilité et poser des mots m’a aidée. Mais ça prend du temps ! Je suis en thérapie depuis 2004…

Vous vous attendiez à tant de réactions ? 

Non. Les gens me disent qu’il y a eu un avant et un après. Depuis, plus de neuf cents cas ont été révélés dans le sport et cinquante fédérations ont été touchées.

Comment votre fille de 11 ans a-t-elle pris tout ça ? 

J’ai essayé de la préserver. Elle est beaucoup restée à Miami, où nous vivons, ce qui a permis qu’elle ne me voie pas à la télé française. Elle savait que j’avais écrit un livre, mais ne connaissait pas le sujet. J’ai réussi à lui parler l’an dernier, en lui expliquant que son corps lui appartient, que ses petits trésors sont à elle, et que quand j’étais en stage, un entraîneur m’avait touchée sans en avoir le droit…

Arrivez-vous à ne pas la surprotéger ? 

C’est compliqué. J’ai du mal à la laisser aller à des soirées pyjama. Pareil pour les colonies de vacances ! Je veux qu’elle rentre le soir.

Vous avez hésité à sortir ce livre ? 

Oui. En voyant “Sarah Abitbol, violée par son entraîneur à 15 ans” sur la couverture, je n’ai pas supporté. J’ai appelé l’éditeur en lui disant de tout arrêter. Mais en en parlant avec ma psy, j’ai réalisé qu’il me fallait voir les mots pour guérir. Mon père, très malade, m’a fait le signe du gagnant en découvrant le livre. Il n’est plus là, mais ça m’a donné tant de force.

Et votre mère ? 

J’ai beau lui dire qu’elle n’a rien à se reprocher, elle se sent toujours coupable, mais cela passera avec les années. Mes parents sont extraordinaires : ils ont quitté Nantes, leur vie, pour me permettre de lancer ma carrière à Paris.

Comment est venue votre passion ? 

À l’école, j’avais le choix entre piscine et patinoire. Je ne voulais pas être mouillée ! (Rires.) Je suis donc allée au froid et j’ai adoré cet effet de liberté. Je n’ai plus jamais quitté la glace.

Vous avez eu une enfance malgré tout ? 

Les sportifs de haut niveau n’ont pas de jeunesse. On ne va pas au cinéma, en boîte. Je n’avais qu’une idée : être championne.

À 14-15 ans, votre entraîneur se met à vous violer. Comment tout a commencé ? 

Il n’y a pas eu de signe avant-coureur. C’était un entraîneur dont la voix portait : quand il criait, il valait mieux se planquer. Mais rien n’a changé, jusqu’à un stage à La Roche-sur-Yon. Un soir, alors que je dormais avec mes peluches, il est venu me réveiller dans le dortoir. Il m’a violée plusieurs fois par semaine, pendant deux ans.

“Les sportifs n’ont pas de jeunesse”

Personne n’a rien vu ? 

Non. Il me disait que c’était un secret. De toute façon, c’était si horrible que je ne serais pas arrivée à en parler : un homme marié, de 35 ans quand j’en avais 14 et que je n’avais jamais eu de copain ! Je me disais que c’était ma faute. Il avait aussi une emprise sur mes parents : il me ramenait à la maison, dînait avec nous… C’était flatteur qu’un entraîneur aussi reconnu me prenne sous son aile.

Vous avez songé à arrêter le patinage ? 

Jamais. Pourtant, je ne mettais plus un pied devant l’autre. Je faisais quatre chutes par compétition, j’étais épuisée et mon corps donnait des alertes. Heureusement, j’ai fait une sélection de couples artistiques et j’ai eu la chance de connaître mon futur partenaire, Stéphane Bernadis, un grand gaillard d’1,80 mètre. À partir de là, mon agresseur ne m’a plus approchée, mais il m’a volé ma carrière solo.

Vous êtes alors entrée dans une amnésie traumatique de onze ans. Comment tout a resurgi ?

C’était en 2003. J’étais en tournée en Allemagne. Un soir, je discutais au lit avec mon amoureux et il a mis la main sur mon épaule. Ça m’a fait tant sursauter qu’il m’a dit : “Quelque chose s’est passé dans ton enfance !” Là, j’ai revu mon entraîneur sur mon lit. Je suis partie vomir. Le lendemain, je l’ai dit à ma mère à demi-mot. Mais elle a tout découvert dix-sept ans plus tard, en lisant mon livre.

Le milieu du patinage vous a soutenue ? 

Les instances ont vu ma démarche comme une façon de salir ce sport. Mais je n’ai aucun regret : il fallait briser l’omerta. Surtout que je ne suis pas la seule ! Je connais trois autres victimes, violées au stage de La Roche-sur-Yon. Mais il y en a plein d’autres, dont certaines ne sont pas prescrites. J’aimerais qu’elles parlent pour se libérer et pour qu’il paye enfin.

Vous aurez un jour une vie normale ? 

Oui. Je suis en pleine reconstruction et je pense être à 70 % de guérison. Il reste des angoisses déclenchées par des choses anodines. Ce matin, lors d’une émission, l’intervieweur avait le même parfum que mon agresseur. J’étais très mal. Mais je progresse ! J’ai même pris un train seule, ce qui m’était impossible jusque-là. Pendant des années, j’ai été dans l’anti-vie, mais je retrouve ma joie, mon humour. C’est une renaissance. 

Propos recueillis par Maëlle Brun 

Dates clés : 

8 juin 1975

Naissance à Nantes, où elle grandit avec ses parents et son frère. À 7 ans, elle chausse des patins à glace : c’est une révélation.

1992 

©ABACA – Elle commence à patiner avec Stéphane Bernadis, qui deviendra son compagnon. Ils seront dix fois champions de France.

Janvier 2020

Sortie de son autobiographie, Un si long silence (éd. Plon), dans laquelle elle révèle les viols subis. Le livre fait l’effet d’une bombe dans le sport.

Dès le 3 février 2023

Sarah revient dans le nouveau spectacle d’Holiday on Ice, Supernova. Un show incroyable, qui passera dans vingt-deux villes françaises.

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