Il faut qu'on parle d'Adam Driver qui chante dans « Marriage Story »

Dans le piano-bar où il traîne avec sa troupe, Charlie (Adam Driver) raconte ses dernières mésaventures avec sa future ex-femme, Nicole (Scarlett Johansson). Puis un silence de gêne, que quelques notes de piano viennent combler rapidement. L’air surprend Charlie. Il lève un doigt, puis la voix. « Someone to hold you too close ». Il est debout maintenant. « Someone to hurt you too deep ». En deux pas, il est devant le micro et reprend l’un des titres-phares de Stephen Sondheim : « Being Alive ».

Comme souvent avec Noah Baumbach, qui plane toujours quelque part entre subtilité et simplicité, le choix n’est pas anodin. Le titre en question clot l’acte II de Company, comédie musicale de 1970 où le personnage principal, Robert, est un célibataire endurci, incapable de s’engager, au grand dam de ses amis mariés. Dans « Being Alive », le jeune homme crache tout le mépris que lui inspire le mariage. Quelqu’un qui a trop besoin de vous, qui vous connait trop bien, qui fait de votre vie un enfer. Quelqu’un qui ruine votre sommeil. Mais qui vous rend vivant. Gloubi-boulga d’émotions déchirant que les plus grandes stars de Broadway(Patti LuPone, Barbra Streisand) et d’autres (Neil Patrick Harris) ont repris au fil des années. Adam Driver arrive après tout ça, et triomphe tout de même.

Même si Marriage Story – le plus beau film de l’année selon Vanity Fair – n’a rien d’une comédie musicale, cette scène fonctionne sur la même logique que les autres grands titres du genre. Avant de se mettre à chanter, Charlie n’arrive pas à décrire avec exactitude les tenants et les aboutissants de sa guerre intestine avec Nicole. Alors, à la manière d’un Tony dans West Side Story, il se met à chanter. Et, par le biais du titre de Sondheim, exprime ce qu’il n’arrive pas à dire avec les mots. Comme dans une comédie musicale. « Il ne sait pas qu’il va être téléporté par la chanson », confiait Adam Driver lors d’une conférence. « Il ne prend pas ça au sérieux, jusqu’au moment où il encaisse tout ça. Là, ça devient le point de départ abstrait du deuil de la relation ».

Et puis, rien qu’avec son titre, « Being Alive » répond aux insécurités de Nicole. Dans un monologue tout aussi poignant que la séquence musicale de son mari, elle confie à son avocate (Laura Dern) tout ce qui ne va plus dans son couple. « Je l’ai suivi, dans sa vie, parce que ça me faisait tellement de bien de me sentir vivante ». Alive. « J’ai réalisé que je n’étais pas vivante pour moi-même, que je ne faisais que nourrir sa vivacité ». His Aliveness. Il y a quelque chose à la fois d’attendu et de complètement déroutant, lorsqu’Adam Driver prend le micro. On n’est pas vraiment sûr que ça colle à son personnage, et puis finalement, on se dit que ça colle à l’histoire que Noah Baumbach nous raconte. L’histoire d’un mariage qui se termine, mais pas de deux personnes qui arrêtent de s’aimer, comme Nicole lance à son avocate.

Anyone else still thinking about Adam Driver singing « Being Alive » at the end of MARRIAGE STORY or is it just me? pic.twitter.com/s6fRv0UIpn

Deux fois auparavant, Marriage Story réussit à figer le temps dans une émotion précise. L’empathie, lorsque Scarlett Johansson se lance en plein monologue. Le bouleversement et l’effroi, lorsque le couple se déchire jusqu’à se souhaiter la mort. Il y a même des scènes plus discètes, comme quand Nicole recoupe une dernière fois les cheveux de Charlie, qui réussissent à nous arracher quelques larmes. Mais il se passe quelque chose d’indescriptible, d’unique et de merveilleux, lorsqu’Adam Driver chante. Qui nous fait croire que Charlie est bel et bien vivant. 

Source: Lire L’Article Complet