Golshifteh Farahani : "Les jeunes Iraniennes donnent une leçon à ma génération"

Elle a le sourire sincère et chaleureux de l’artiste accessible – pourtant mondialement reconnue – mais le regard ému, reflet d’un esprit préoccupé. Contrainte de quitter l’Iran par le régime islamique en 2008 pour un rôle, Golshifteh Farahani observe avec attention la révolte qui s’y joue ces dernières semaines.

Sur Instagram, où elle est suivie par plus de 14 millions d’internautes, l’actrice née à Téhéran partage sans relâche le combat d’une jeunesse dans la rue depuis la mort de Mahsa Amini, à la suite de son arrestation le 13 septembre dernier par la police des mœurs pour quelques mèches qui dépassaient de son voile.

Issue d’une génération « traumatisée », selon ses mots, la femme de 39 ans confie à Marie Claire être bouleversée, frappée de stupeur et d’admiration devant le courage des jeunes Iraniennes.

Héroïne simple et charismatique d’Une comédie romantique, délicieuse première réalisation de Thibault Segouin – qui porte dignement son titre et honore le genre -, Golshifteh Farahani nous parle aussi de ce rôle comique que les spectateurs découvriront dans les salles obscures dès le 16 novembre. Parce qu’il est important de rire et de faire rire, assure-t-elle. Précieuse liberté face au fascisme. Rencontre.

Marie Claire : Présentez-nous Salomé, cette femme que vous incarnez dans Une comédie romantique. L’aimez-vous ? Vous ressemble-t-elle ?

Golshifteh Farahani : Salomé vit avec sa fille de trois ans. Elle a été abandonnée une première fois par l’amour de sa vie, joué par Alex Lutz. Elle est indépendante, courageuse, drôle. Le plus important, elle ne juge pas beaucoup. Elle accepte les gens tels qu’ils sont. Oui, cette femme peut me ressembler.

Finalement, qu’aime-t-elle chez cet homme lâche et (très) menteur qu’interprète votre binôme, Alex Lutz ?

Je crois qu’elle aime son cœur. C’est rare aujourd’hui de trouver des cœurs bons. Quand la racine est en bonne santé, ce n’est pas grave si l’arbre est un peu cassé. Elle voit cette racine-là, et l’aime, pour ce qu’il l’est. Elle aime ses mensonges, sa lâcheté, mais le pousse à devenir une personne meilleure et vers les choses positives. Et je crois qu’en France, nous avons besoin d’encourager l’Autre, plutôt que de le critiquer.

Percevez-vous votre rôle comme un hommage aux presque deux millions de mères célibataires de France ? 

Je n’y avais jamais pensé. Mais oui, car Salomé est l’une de ces femmes qui élèvent seules leurs enfants avec beaucoup de vie, travaillent, rient… Donnent tout.

Un hommage à (son) Paris et à la liberté

Dans Une comédie romantique se sont glissées plusieurs références à des grands films d’amour français, comme La Piscine ou Pierrot le fou. Quelle est la romance qui vous a le plus marquée ?

Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Une comédie romantique comme seul le cinéma français peut faire, que j’ai adoré et revu plusieurs fois.

Nous critiquons beaucoup ce genre de films, mais un ami, qui n’est pas Français, me dit toujours : « J’ai envie de regarder une comédie française, parce que c’est un humour très différent des comédies anglo-saxonnes. » Si on le comprend bien, cet humour, on l’aime beaucoup.

Quelle est, selon vous, la recette d’une bonne comédie romantique ?

Je crois que dans une bonne comédie romantique, il y a beaucoup de couleurs, de contraste, et d’imperfections qu’on aime. Un peu comme Montmartre, où nous avons tourné. Pourquoi ce quartier est romantique ? Parce qu’il est tellement imparfait, entre ses immeubles les uns sur les autres et ses escaliers qui ne sont pas droits.

Et puis, pour une bonne comédie romantique, il faut… Paris !

Paris, justement, est presque un personnage à part entière de ce film. Quel est votre lien cette ville ? 

Je crois que Paris, plus encore Montmartre, est un grand personnage de ce film. Ce lieu a gardé son authenticité, comme aucun autre quartier de Paris.

À Montmartre, cette République cosmopolite, tout le monde vit ensemble : les artistes et les touristes, les Français et les étrangers.

J’aime Paris, spécialement depuis que j’en suis partie. Cette ville est comme un amour, une maîtresse qu’on a envie de voir, revoir et revoir encore… Peut-être que c’est un peu difficile de vivre avec, peut-être qu’elle me rendait un peu triste quand j’y habitais, mais depuis que je l’ai quittée, j’ai beaucoup de nostalgie pour Paris.

Et quand je reviens, partout où je marche, j’ai un souvenir. Quand je suis en vélo, je ne suis pas obligée de regarder les plans. Je connais cette ville. Je la connais même plus que Téhéran. Parce que Téhéran d’aujourd’hui, je ne la connais plus du tout…

Golshifteh Farahani sur Instagram, haut-parleur des Iraniennes

Ce doit être étrange de faire la promotion d’un film doux et feel good, au cœur de cette actualité grave, violente. Que ressentez-vous ?

C’est une autre absurdité de ma vie : j’ai fait tellement de films tragiques, engagés, notamment sur l’émancipation des femmes, et là, exactement, quand nous sommes tous en deuil des enfants d’Iran, je suis en train de faire la promotion d’une comédie romantique. Mais c’est aussi un beau message pour moi : aucun régime fasciste ne peut prendre la joie et la liberté de rire. Je crois qu’il faut que je me souvienne de cela, tout le temps. L’humour peut sauver l’humanité.

Moi, j’ai vécu comme un garçon pendant des années, le crâne rasé. Mais elles, ne veulent pas tondre leur tête. Elles veulent garder leur féminité et être libre. C’est là la différence, la subtilité.

Chaque jour sur Instagram, vous partagez à vos millions d’abonnés plusieurs informations, photos et vidéos, de cette révolte. Vous réalisez une véritable veille pour nous partager des sources iraniennes en quasi-direct. Est-ce la première fois que vous vous engagez publiquement sur vos réseaux sociaux ?  

Je m’étais un peu engagée ici et là, mais je n’avais jamais parlé de politique si directement. Je crois qu’il y a quelque chose dans cette histoire qui m’a poussée à parler, aussi parce que je suis un pont entre l’Iran et l’Occident. Je comprends la France, l’Europe, ce qu’il se passe des deux côtés. J’ai vu qu’il y avait beaucoup de malentendus entre ces deux mondes. Des groupes féministes ici pensent que cette révolte est contre le voile, contre l’Islam, mais pas du tout, c’est un mouvement pour la liberté de choix.

https://www.instagram.com/p/Cjm2UQdtMjU/

Quand j’ouvre Instagram, je vois mille choses graves qui se sont passées en Iran et dont il faut parler. En même temps, il ne faut pas que les internautes pensent que « c’est trop », et alors, mettent une distance avec ces événements ou les normalisent, en se disant « c’est le Moyen-Orient ».

J’essaie de montrer à quel point on se ressemble, même si « c’est le Moyen-Orient ». Nous avons les mêmes enfants, qui écoutent les mêmes musiques, font les mêmes danses, aiment les mêmes artistes. Mais ces enfants-là, en Iran, sont en train de mourir.

J’apprends beaucoup quand je regarde ce mouvement. (…) C’est émouvant la manière dont les jeunes Iraniennes parlent de ce régime, à la police. Incroyable leur niveau de courage.

Que vous inspirent ces jeunes femmes en première ligne de cette révolte ? Vous rappellent-elles votre propre jeunesse en Iran ?

Le courage de cette génération est surprenant. Elle n’a pas peur comme la mienne, qui a été traumatisée par la guerre [avec l’Irak, ndlr] et la grande révolution islamique [de 1979, ndlr].

Moi, j’ai vécu comme un garçon pendant des années, le crâne rasé. Mais elles, ces jeunes femmes, ne veulent pas tondre leur tête. Elles veulent garder leur féminité et être libre. C’est là la différence, la subtilité.

Nous, avons réussi à survivre, mais nous n’avions pas assez de courage pour assumer, comme elles me font aujourd’hui. Elles donnent une leçon à ma génération. Nous sommes tous surpris et touchés. J’apprends beaucoup quand je regarde ce mouvement, cette jeunesse qui n’appartient ni à la gauche ni à la droite.

C’est émouvant la manière dont les jeunes Iraniennes parlent de ce régime, à la police. Incroyable leur niveau de courage… On n’arrive pas à comprendre. C’est comme si elles étaient devant un grand ours qui veut vraiment les tuer, et lui répondaient : « Et alors ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu veux me tuer ? Tue moi. Je m’en fiche ».

Des jeunes en sont morts. 17 ans, 15 ans, 13 ans… Ce pourrait être mes enfants, si j’en avais.

Vous n’en avez pas eu. Par traumatisme de la guerre d’Irak et de la révolution islamique ?

Oui, car on [sa génération, ndlr] ne croyait pas en l’avenir. C’est d’ailleurs pour cela que le régime islamique fait de la propagande et demande à la population iranienne d’avoir des enfants. 

La seule chose que nous avions ? Le présent. Alors on s’est accroché à ce présent, complètement.

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Une comédie romantique de Thibault Segouin, avec Golshifteh Farahani et Alex Lutz, en salle le 16 novembre 2022.

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