Bruce Springsteen n'a plus un cheveu blanc
À 71 ans, Bruce Springsteen sort un 20e album, Letter to You. Le Boss rappelle de quel bois se chauffe sa guitare sans remiser sa mélancolie.
On a beau être le Patron, avec des cheveux tout neufs sur le haut du crâne, on n’en est pas moins hanté par la fuite du temps. Bruce Springsteen nous avait prévenus dans son autobiographie, Born to Run, parue en 2016 : la dépression n’est pas incompatible avec les moulinets de guitare. Et côté moral, il semble que les choses ne se sont pas améliorées pour le John Steinbeck de la Fender Telecaster, si l’on en admet la teneur textuelle de son vingtième album, Letter to You, sorte de triste missive envoyée à la face du vieux monde.
En aparté de cet album scellant les retrouvailles avec son groupe fétiche, l’E Street Band, l’indéfectible démocrate de 71 ans a confié qu’il prendrait le premier avion pour l’Australie si Donald Trump en venait à retrouver, dans une semaine, son fauteuil à la Maison-Blanche. Néanmoins, nulle trace de couplets politiques dans cet album succédant, un an et demi après seulement, à Western Stars. Seuls quelques vers semblent faire écho à l’actualité : « The criminal clown has stolen the throne/He steals what he can never own.«
Lire aussi – Bruce Springsteen : un album en tête à tête avec le boss
Le premier album avec la musique comme sujet
Autrement, c’est une veine introspective, et largement mélancolique, qui parcourt l’objet. Tout d’abord, One Minute You’re Here s’inscrit sur un mode « que sont mes amis devenus que j’avais de si près tenus? » servi dans un dépouillement folk à la Ghost of Tom Joad, avant que la machine ne s’emballe, avec force power chords à la hache, envolées de saxos et batterie de bûcheron. Sans que ne s’efface pourtant du tableau ce fond nostalgique qui rend par exemple hommage à son premier groupe, The Castiles, dont Bruce Springsteen est désormais l’unique survivant après la mort de George Theiss en 2018. « Cet album est le premier que je fais dont le sujet est la musique en tant que telle », a déclaré en guise de postulat l’apôtre de l’Amérique délaissée.
«
Si les concerts devaient s’arrêter pour toujours, ce serait un bouleversement terrible pour moi
«
Nous y voilà : avec Last Man Standing mais aussi avec Ghosts, le chanteur nous embarque en virée dans sa légende parsemée de clins d’œil au saxo de Clarence Clemons (disparu en 2011). Ajoutez-y les pianos fiévreux de Roy Bittan, les chevauchées de guitare un brin rockabilly de Stevie Van Zandt (Letter to You) et les orgues zébrés de Charlie Giordano, et vous en arriverez à la conclusion suivante : le chagrin, ça fait un de ces boucans!
Un album enregistré en live en quatre jours avec son E Street Band
Pour cet album (dont vous pouvez découvrir le making of dans le documentaire Bruce Springsteen’s Letter to You sur Apple TV+), le Boss a même exhumé trois chansons de jeunesse (Janey Needs a Shooter, If I Was the Priest et Song for Orphans) datant d’avant sa signature avec la maison de disques Columbia, en 1972. Le chevelu du New Jersey avait alors 22 ans. « Je n’en reviens pas de voir à quel point mon écriture était sauvage et désinhibée, a-t‑il déclaré au New York Times. Et pourtant, avec ma voix d’aujourd’hui, c’est passé comme une promenade de santé. »
Mais surtout, comme à la grande époque de Born in the USA, Springsteen a enregistré en live avec son E Street Band. À raison de trois titres quotidiens, l’affaire était pliée en quatre jours. La voix d’une vigueur exceptionnelle, on jugerait que les implants capillaires ont déteint sur les cordes vocales. Pas un cheveu blanc! Reste que le plus beau serait de retrouver le marathonien sur scène, même si ce n’est pas pour demain. « Si les concerts devaient s’arrêter pour toujours, ce serait un bouleversement terrible pour moi. Car, depuis que j’ai 16 ans, c’est un moteur essentiel dans ma vie. Et si ça ne doit reprendre que dans cinq ans, à l’âge de 71 ans, ça fait loin. »
Letter to You ***
(Sony Music)
Source: Lire L’Article Complet