Anne-Sophie Lapix, l’intervieweuse aussi pugnace que redoutée
C’est une tradition qui se répète tous les cinq ans en France depuis 1974 : le débat de l’entre deux-tours, animé, selon la règle, par un duo d’animateurs. Un homme et une femme, l’un qui officie sur TF1, l’autre sur France 2.
Gilles Bouleau, présentateur du 20 heures, a été choisi pour représenter la première chaîne d’Europe. Celle qui se retrouve chaque soir face à lui, aux commandes du JT du service public, devait logiquement être la seconde arbitre, ce 20 avril 2022, à 21 heures, dans tous les postes de France. Eh bien non. C’est Léa Salamé qui a été annoncé.
Une opiniâtreté qui dérange les politiques
Si Laurent Guimier, directeur de l’information du groupe public, assure à l’AFP que « Personne n’a été retoquée », que « ceux qui diront le contraire mentiront », et que « Léa Salamé était le choix numéro 1 », la Société des Journalistes (SDJ) de la chaîne condamne via Twitter, ce 13 avril dernier, « toutes les pressions exercées par les candidats portant atteinte à la liberté de la presse ».
« Soirée électorale, événement de campagne, interview en plateau, conférences de presse… Ce n’est pas aux politiques de choisir les journalistes qui les interrogent », assène les journalistes inquiets.
On entend que ni Macron ni Le Pen ne voulaient d’elle depuis des jours voire des semaines.
Les deux candidats qualifiés pour le second tour auraient, tous deux, fait part de leur désapprobation de la potentielle présence d’Anne-Sophie Lapix lors de ce grand rendez-vous politique. « On entend que ni Macron ni Le Pen ne voulaient d’elle depuis des jours voire des semaines », confirme une reporter de la rédaction à l’AFP.
« Marine Le Pen ne souhaite pas qu’Anne-Sophie Lapix anime le débat », assume éhontément le président par intérim du Rassemblement National (RN), Jordan Bardella, sur CNews, le 12 avril dernier. Avant de tenter une justification : « Il y a un tel parti pris. […] Elle n’arrive pas à dissimuler son hostilité envers Marine Le Pen à chaque fois qu’elle la reçoit. » Hostilité ? Plutôt pugnacité, ténacité.
Anne-Sophie Lapix et la « question qui fâche »
Le clan du président-candidat ne s’est pas exprimé publiquement sur le choix du tandem d’animateurs.
Finalement, Emmanuel Macron, qui a boudé France 2 toute cette campagne et n’avait pas accordé d’entretien à la présentatrice-vedette du service public en 2017, a même accepté de répondre aux questions de cette dernière. Mais au lendemain du débat de l’entre-deux-tours seulement.
Le parti au pouvoir éprouverait une rancœur envers la chaîne depuis le 17 mars 2020, selon les sources du quotidien Le Monde. Au lendemain de l’annonce du premier confinement, Édouard Philippe, alors Premier Ministre, est questionné par Anne-Sophie Lapix. « Est-ce qu’on n’a pas pris du retard en voulant à tout prix maintenir le premier tour des Municipales ? », interroge sans détour la journaliste politique.
Celle-ci sait poser la question qui fâche, celle qui désarme les politiques, celle qui intéresse la majorité des téléspectateurs. Au risque de recevoir des virulentes insultes d’une minorité d’entre eux. Après cet échange tendu sur la pandémie, Anne-Sophie Lapix, qui croulait sous les commentaires injurieux, a dû fermé son compte Twitter.
Ces mêmes twittos l’ont hissée en « Top Tweet » en octobre 2021, applaudissant sa franchise face à Xavier Bertrand, alors candidat pour représenter la droite à la Présidentielle 2022.
« Vous pensez sérieusement que si je n’étais pas aujourd’hui le mieux placé… Vous pensez que je serais devant vous ce soir pour vous expliquer mon projet? », lance le Républicain à la présentatrice. « Pour l’instant, vous n’êtes pas au second tour dans les sondages », lui rétorque-t-elle, le laissant sans-voix durant quelques longues secondes.
C’est elle encore qui a posé la question cash et dérangeante en mars dernier à Marine Le Pen, à propos de ses liens avec le pays qui venait d’envahir l’Ukraine. « Comment revendique-t-on son indépendance quand on doit huit millions aux amis de Poutine ? », lâche la journaliste, en référence au prêt contracté par la candidate d’extrême-droite dans une banque russe, en 2014.
Cette opiniâtreté, peu sont ceux qui semblaient s’en souvenir. Longtemps, Anne-Sophie Lapix fut associée à son rôle de présentatrice dans l’émission de divertissement C à vous, talk-show à succès de France 5.
De ses débuts jusqu’au 20 heures, en passant parC à Vous
L’exercice durera trois ans. Celle qui remplace Alexandra Sublet à partir de 2013 s’entoure d’Anne-Élisabeth Lemoine – aux commandes de l’émission depuis son départ -, de Patrick Cohen qui mène une chronique politique, et de Maxime Switek, chargé chaque soir de décortiquer l’actualité.
Autour de la table, le ton est léger, la cheffe de bande souriante, accueillante.
C à Vous est comme une parenthèse « infotainment » dans son CV purement « info » tout court. Car Anne-Sophie Lapix, repérée par Jean-Claude Dassier, alors directeur du LCI, a fait ses classes à l’antenne de cette chaîne d’informations du groupe TF1, où elle a présenté durant six ans un journal, avant de co-animer le Grand Journal de cette rédaction.
Après quoi, Anne-Sophie Lapix rejoint M6 et présente le magazine Zone Interdite et les informations durant un an… Avant de revenir dans le groupe TF1 pour deux ans. La-voilà « joker » de Claire Chazal pour les journaux du week-end, de 2006 à 2008. Ces années-là, elle co-anime aussi l’hebdomadaire Sept à huit aux côtés d’Harry Roselmack.
Le public la (re)découvre lorsqu’elle s’empare du magazine politique Dimanche +. Sur la chaîne cryptée, elle excelle en tant qu’intervieweuse incisive, dévoile sa capacité d’analyse, son calme face aux politiques qu’elle décontenance. En 2012, face à Marine Le Pen, elle interroge le programme économique de cette dernière et son financement, méticuleusement, point par point.
Celle qui aspirait à l’Élysée avait alors qualifiée la journaliste de « déloyale », avant de la renommer, quelques années et rencontres plus tard, « Madame la commissaire politique ». Cette séquence devenue célèbre et déterrée par les internautes ces derniers jours, pourrait aussi expliquer, le refus de Marine Le Pen de se retrouver face à la journaliste de 49 ans.
Mai 2017. France 2 annonce l’arrivée d’Anne-Sophie Lapix à la tête de sa grande messe de 20 heures dès la rentrée de septembre. Remplacer David Pujadas, mythique dans cet exercice et en poste depuis 16 ans ? Un challenge de taille pour l’animatrice. Qu’elle accepte, heureuse de quitter les dîners-interviews de C à vous et de retrouver, grâce à la présentation, son premier amour : le journalisme politique.
Pour l’aider à enfiler ce costume longtemps porté par son prédécesseur, le décor du plateau, les chroniques, même la musique, ont été repensés. Anne-Sophie Lapix parvient à imposer un style, son ton.
Une grande professionnelle victime d’attaques sexistes
De sa vie privée, rien ne sort. Anne-Sophie Lapix filtre tout. Les prénoms de ses deux enfants, par exemple. Son mariage avec Arthur Sadoun, président du directoire de Publicis, lui a valu de nombreux et blessants « On dit » à l’annonce de sa nomination au JT de France 2. Des remarques sexistes qui réduisent la présentatrice à une « femme de », dénonçait son époux en juin 2017 dans les colonnes du JDD.
L’homme d’affaires s’exaspérait : »Ça suffit ! La première fois que j’ai vu mon épouse, c’était il y a dix ans : elle interviewait le Premier ministre au 20 heures de TF1. Elle n’a jamais eu besoin de mon aide, ni d’un carnet d’adresses. Le reste n’est que pur sexisme d’un autre âge et manque de professionnalisme de certains médias. »
Le professionnalisme de sa femme est en revanche incontestable.
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