Le triomphe des influenceuses beauté séniors
« Ne laissez jamais personne vous dire que vos meilleures années sont derrière vous », lançait en mars dernier Michelle Yeoh, actrice de 60 ans tout juste oscarisée pour son rôle dans le film Everything Everywhere All at Once. Le message infuse depuis quelque temps déjà, notamment grâce aux réseaux sociaux qui offrent une vitrine accessible – et surtout un second élan – aux femmes qui refusent de revêtir leur cape d’invisibilité pour une simple question d’âge.
Elles s’appellent Nicole, Solange, Évelyne, Caroline, ont 60 ans ou plus, sont influenceuses et ont fait de leur beauté mature, comme de leur allure, un passeport pour une nouvelle vie active. Interviewées, sollicitées, invitées, elles refusent de disparaître dans le « tunnel » évoqué par Julie Gayet en pleine promo du film Comme une actrice, où elle incarne une comédienne qui n’a plus l’âge d’interpréter le rôle dont elle rêve.
« Nous consommons comme tout le monde »
En prenant leur destin en main, ces influenceuses séniors n’ont justement pas attendu qu’on leur donne un rôle, elles l’ont pris. Comme Nicole Tonnelle, il y a onze ans. « Je me suis retrouvée à la retraite et me suis vite ennuyée, raconte cette ancienne esthéticienne, grand-mère épanouie aux cheveux gris mis en valeur par une coupe courte soignée et un maquillage impeccable. Une amie m’a dit que je devrais faire des tutos beauté pour les femmes de mon âge sur YouTube, car rien n’était proposé. Je n’avais jamais touché un ordinateur de ma vie ! »
Aujourd’hui, Nicole Tonnelle, 72 ans, est suivie par plus de 28 000 abonnées sur Instagram, plus de 76 000 sur YouTube et 133 000 sur TikTok. « Au début, je ne savais pas monter mes vidéos, donc mes tutos duraient une heure, s’amuse-t-elle. Une fois, mon mari est passé derrière moi en slip juste à la fin de mon enregistrement, j’ai dû tout recommencer à zéro. »
Blague à part, Nicole Tonnelle, en expliquant comment bien maquiller une paupière tombante, raffermir le bas du visage par des exercices, prévenir les taches solaires ou éliminer les poils qui poussent parfois après certains bouleversements hormonaux, offre des clés à sa communauté de femmes et même beaucoup plus : l’envie de prendre à nouveau soin d’elles, qu’elles soient bien portantes mais démotivées, ou coincées sur un lit d’hôpital.
Pour Solange Gourse, qui a été blogueuse avant de donner, en 2016, un coup de fouet à son compte Instagram @modange13 en partageant ses tests de produits de beauté et ses looks, l’objectif est de montrer aux femmes de son âge que tout est encore possible puisqu’elle-même a changé de vie et s’est remariée pour le meilleur. « Au début, le terme ‘influenceuses séniors’ faisait rire les gens, note-t-elle. Mais nous commençons à exister, ce qui est normal : nous faisons partie de la société et nous consommons comme tout le monde. »
Chaque jeudi, cette jeune sexagénaire pimpante et solaire retrouve ses abonnées pour un « live » qu’elle a instauré pendant le confinement où elle parle de la dernière crème essayée, de la marque de ses boucles d’oreilles, d’un film qu’elle a aimé ou d’actualités comme le Salon des Séniors, organisé en mars 2023. Très naturelle, elle n’hésite pas à partager ses enthousiasmes avec un vocabulaire parfaitement dans l’air du temps.
Extrait récent : « J’ai un gros kif sur ce mascara parce qu’il fait juste des cils de ouf, je vous ai fait une petite vidéo en story, c’est une brosse comme j’aime, fine et qui sépare bien les cils sans faire de paquets. » Côté image, c’est son mari qui est à la manœuvre. Une fois sa retraite prise, il n’a pas hésité à suivre des cours de photographie pour être à la hauteur de sa nouvelle mission, trouvant lui aussi un second souffle après l’arrêt de son activité professionnelle.
Lorsqu’elle a quitté son dernier poste de coordinatrice chez Force femmes, une association qui accompagne les femmes de plus de 45 ans au retour à l’emploi salarié ou à la création d’entreprise, Évelyne Huard, inspirée et aidée par ses consœurs influenceuses, a ouvert le compte instagram @coloursofeva.
« Vous prendrez bien un peu de ‘rose' », pour présenter des vernis, « Prendre soin de SOI » pour livrer son retour sur une gamme de produits naturels, cette femme de 63 ans, dont le visage rappelle la beauté frondeuse de Bernadette Lafont, reconnaît ne pas avoir de compétences particulières en matière de cosmétiques mais prend plaisir à donner son simple avis d’utilisatrice éclairée tout en répondant à chaque commentaire de ses abonnées qui sont, pour certaines, devenues des amies.
« Être influenceuse m’a offert une dynamique insoupçonnée dans mon quotidien, se réjouit-elle. Je me sens valorisée par ce que je fais et je pense d’ailleurs que vivre ce type d’aventures est une excellente thérapie pour la confiance en soi. J’ai vécu des choses difficiles dans mon parcours et je crois beaucoup à la guérison par le travail sur l’image. » Une définition de la beauté qui va bien au-delà de critères esthétiques et de l’image trop souvent superficielle d’Instagram. Seule ombre au tableau : le manque de soutien d’une partie de sa famille qui n’apprécie pas la nouvelle activité de cette mamie hyperactive.
La beauté n’est pas une affaire de rides
Jalousie ? Préjugés ? Morale dépassée ? Les influenceuses séniors n’en font pas l’économie, même si les mentalités ont beaucoup évolué.
« Les femmes ne sont plus enfermées dans des stéréotypes, explique le sociologue Serge Guérin, auteur de l’ouvrage Les Quincados (Éd. Calmann-Levy). Elles ont des choses à dire et ne se l’interdisent pas sous le prétexte qu’elles auraient dépassé une soi-disant date de péremption, même si certains continuent toujours de penser que ce n’est plus de leur âge. D’autres, même chez les plus jeunes, leur font un procès d’inspiration très judéo-chrétienne en leur expliquant que se montrer ainsi sur les réseaux sociaux manque de dignité. Heureusement, leur présence fait progresser le regard, de moins en moins latin et de plus en plus nordique, que l’on porte sur l’âge des femmes. Les influenceuses séniors existent aussi car la communauté instagram est beaucoup plus large qu’on ne le croit. »
De la même façon que les femmes ne demandent plus à leur mari si elles peuvent travailler, elles n’ont pas besoin de l’accord de leurs petits-enfants pour s’exposer sur les réseaux sociaux. Certaines influenceuses ont même pu commencer une carrière de mannequin sur le tard, comme Caroline Ida Ours, dont on a vu les traces du temps sur son corps dénudé dans une campagne en noir et blanc des sous-vêtements Darjeeling qui a marqué les esprits en 2022. Sur cette photo manifeste, la beauté n’était pas lisse, les plis et les rides avaient toute leur place.
« Me montrer telle que je suis est la base de mon combat pour faire accepter les femmes plus âgées telles qu’elles sont, affirme-t-elle. Les réseaux sociaux ont contribué à ouvrir la porte et libérer la parole mais les médias ont encore de gros progrès à faire. Mettre Sophie Marceau en couverture d’un magazine ne suffit pas à faire progresser les choses. »
Encore trop invisibilisée, soit par une jeunesse surreprésentée soit par un estompage systématique des marques de l’âge, renforçant l’idée qu’elles ne sont pas compatibles avec la notion de beauté, l’image des femmes séniors a encore une marge de progression en termes de réalisme.
Dans une interview accordée à Vogue US en août dernier, Jane Fonda, 84 ans, affirmait : « Je veux que les jeunes gens n’aient plus peur de prendre de l’âge », avouant regretter ses interventions esthétiques et avoir pris la décision d’arrêter. Car, en effet, comment accepter d’avancer en âge sans représentation de la vieillesse telle qu’elle est ? Une vieillesse acceptée et assumée, avec ses fragilités. En féminisant la citation d’Albert Camus qui ouvre l’essai de Serge Guérin précité, et pour déculpabiliser toutes celles qui hésiteraient encore à se lancer sur les réseaux sociaux, on aurait envie de se demander avec lui : « Qu’est-ce que le bonheur sinon l’accord vrai entre une femme et l’existence qu’elle mène ? »
- Acné : quand les influenceuses skin positive dédramatisent la situation
- Ces influenceuses qui déconstruisent le mythe de la femme idéale
Source: Lire L’Article Complet