Cosmétique et environnement : la beauté va-t-elle sauver la "peau" de la planète ?

Dépollution, reforestation, création de filières durables, soutien aux ONG de défense de l’environnement : l’industrie des cosmétiques et du parfum investissent massivement dans l’écologie. Quelles actions sont vraiment efficaces ? Notre enquête.

Si l’on regarde les chiffres du mécénat en France, l’environnement ne bénéficie que d’un petit 7 % des sommes versées au global, et ne concerne que 6 % des entreprises philanthropes (source Admical). Cela commence mal.

« Il est souhaitable que les entreprises s’engagent plus, car ce sont les ONG qui font vraiment progresser les choses. Or, elles ont besoin de plus en plus de financements privés car l’État se désengage », constate Marina Poiroux, directrice de la fondation Léa Nature. Le groupe, qui possède les marques So Bio, Jonzac, Natessence, mais aussi de l’alimentaire, de la diététique, des produits d’entretien pour la maison, a choisi pour agir d’adhérer au 1 % for the Planet, un mouvement créé en 2002 notamment par Yvon Chouinard, le fondateur de Patagonia.

Toute entreprise adhérente, s’engage à reverser chaque année 1 % de son chiffre d’affaires à des associations choisies pour leur action en faveur de l’environnement. Une garantie de réel engagement, puisqu’en France une entreprise ne peut pas défiscaliser plus de 0,5 % de son chiffre d’affaires. Le système est vertueux : plus une marque gagne de l’argent, plus elle donne.

Depuis 2007, Léa Nature a par ce biais versé 10,7 millions d’euros à des associations, dont plus de 2 millions en 2019. Le don annuel de Caudalie avoisinerait légalement les 2 millions. Parmi les autres entreprises affiliées au 1 %, on trouve Joëlle Ciocco, Romy, All Tigers, Demain. Deux impératifs guident la sélection des associations soutenues : qu’elles aient une action en faveur de l’environnement, et qu’elles n’aient pas de lien avec l’entreprise donatrice. « Elles doivent être d’intérêt général, travailler pour le bien commun. Ce qui est contraire à l’intérêt particulier d’une marque ou d’une entreprise », souligne Isabelle Susini, directrice de 1 % for the Planet France.

600 associations soutenues en France

Pas question, donc, de financer une filière de matière première. Et impossible pour les marques d’afficher à la va-vite le logo 1 % sur leurs produits. « Nous vérifions tous les ans que cette promesse est bien tenue en comparant chiffre d’affaires et dons. Nous faisons même vérifier notre vérification par un organisme tiers indépendant, Ecocert », poursuit Isabelle Susini.

Rien qu’en France, le 1 % permet de soutenir six cents associations, actives sur tous les sujets environnementaux. « Nous recherchons une globalité dans notre soutien pour faire levier à différents niveaux », souligne Marina Poiroux. Le groupe suit de nombreux organismes, aussi bien Terre de liens, qui achète des terres pour permettre à des agriculteurs en transition bio de s’installer, que Générations futures, qui agit pour faire évoluer les lois. Quant à Caudalie, la marque choisit de centraliser ses dons principalement sur deux ONG, WWF pour ses programmes de reforestation au Mexique et en Chine, et Coral guardian, qui repeuple les récifs coralliens.

Un sourcing éthique des matières premières

À côté du mécénat pur, le soutien à des filières naturelles durables séduit les entreprises. C’est probablement l’engagement le plus répandu, car il sert la cause environnementale, sociétale, en même temps que les intérêts des marques, qui s’assurent des approvisionnements réguliers et de qualité.

Parmi toutes celles qui l’ont adopté, Clarins, qui a très tôt privilégié le sourcing éthique et les formations des producteurs partenaires à une culture plus écologique, notamment au Brésil et à Madagascar, L’Occitane, qui s’est investi au Burkina Faso auprès des femmes qui produisent le karité, ou la marque grecque Korrès, qui encourage la production locale pour soutenir l’économie et la biodiversité.

En Chine, pour préserver les forêts de théiers menacées par l’industrialisation des cultures, Laurent Boillot, ex-PDG de Guerlain (marque qui possède plusieurs filières écologiques) a créé une nouvelle marque de luxe écologique, Cha Ling, avec des partenariats lancés avec des producteurs de thé et un vaste projet de reforestation. Pour sa gamme Bio, Garnier a aussi développé des partenariats durables et éthiques, en France pour la culture du thym, du bleuet et du lavandin, au Maroc pour l’huile d’argan.

Grand consommateur de matières premières naturelles, la parfumerie est aussi très impliquée, en France, à Grasse (LVMH pour Dior et Louis Vuitton, Chanel et son partenariat avec la famille Mul, dont l’exploitation a reçu la certification Haute valeur environnementale) ou dans le monde.

« Notre impact sur l’homme et la nature est plus ou moins visible selon le poids que l’on représente dans la ressource. L’industrie de la beauté est toute petite, elle ne peut pas toujours constituer un vrai levier de transformation. Par exemple, à Haïti, ses démarches pour préserver la culture du vétiver changent la donne, le vétiver étant principalement une matière qu’elle utilise. Par contre, sur l’huile de palme, nous ne pesons pas grand-chose face aux industries qui la consomment », commente Guillaume Lascourrèges, directeur développement durable du groupe Clarins.

Pierre Fabre, le cas à part

Dans le paysage de l’entreprise, le groupe Pierre Fabre (Klorane, Avène, A-Derma, Ducray, des médicaments) est un cas à part, puisque son capital est détenu à quasiment 90 % par sa fondation reconnue d’utilité publique. Le reste de l’actionnariat est constitué par les salariés. « On est par essence une “entreprise à mission”, un statut instauré en mai dernier par la loi Pacte, qui signifie qu’une entreprise à but lucratif possède aussi une finalité d’ordre social ou environnemental », souligne Florence Guillaume, directrice de Green Mission Pierre Fabre.

Concrètement, cela signifie que les dividendes générés par l’entreprise sont réinjectés dans la fondation, qui soutient, à travers le monde, des programmes axés sur l’humain, la santé, l’environnement. En 2019, le groupe s’est d’ailleurs vu attribuer par Ecocert pour sa démarche RSE la norme ISO 26000 niveau excellence.

Être la meilleure entreprise pour le monde

Sur la question des ressources, chaque marque possède ses filières. « Nous cherchons au maximum à avoir nos propres cultures. Ce sont par exemple 200 hectares cultivés en bio dans le Tarn, mais aussi, quand le climat du Sud-Ouest ne le permet pas, des terres que nous gérons à l’étranger, comme à Madagascar », explique Florence Guillaume. Au moment de créer la gamme capillaire au dattier du désert, Klorane a pris part au projet de la Grande muraille verte mené par le CNRS avec les pays africains du Sahel.

L’idée : créer une barrière végétale pour lutter contre l’avancée du désert. « Chaque année nous plantons dix mille arbres, c’est du concret. Pour chacune de nos marques, nous favorisons les partenariats qui durent, comme au Brésil où nous participons au développement de l’agroforesterie avec des partenaires locaux », détaille Florence Guillaume.

Mettre l’implication environnementale au cœur de son fonctionnement, c’est la stratégie qu’a annoncée officiellement en décembre dernier le groupe Yves Rocher en adoptant juridiquement le statut d' »entreprise à mission ». Son PDG Bris Rocher commente : « Il ne s’agit pas d’être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure entreprise pour le monde. Dans un monde de plus en plus urbanisé et digitalisé, il est essentiel de revenir aux fondamentaux et de redonner à la nature la place qu’elle mérite. »

« Faire progresser les mentalités et les comportements »

Agir, c’est aussi sensibiliser, ouvrir les consciences pour construire un avenir plus propre. C’est l’attitude adoptée par la marque REN en soutenant Surfrider et Plastic Patrol, associations mobilisées contre la pollution plastique, notamment des rivières, des mers et océans. « L’an dernier, avec Surfrider, nous avons participé au nettoyage de mille cinq cents plages. C’est sûr, à l’échelle de la planète, ça ne résout pas le problème, mais le but de faire progresser les mentalités et les comportements », explique Arnaud Meysselle, CEO de REN, qui dit avoir changé sa façon de consommer après un « beach clean-up ».

En soutenant le Plastic odyssey, L’Occitane et Clarins parient eux aussi sur l’avenir. Ce bateau, qui crée son propre carburant en recyclant les déchets plastiques, est parti pour trois ans d’expédition. « Il prévoit trente escales dans les zones du monde qui rejettent le plus de déchets. À chaque fois, des micro-entreprises de recyclage seront créées pour inciter au recyclage, montrer comment les déchets peuvent devenir une matière première », estime Guillaume Lascourrèges. En tant que consommateur, on peut aussi prendre le temps de lire les rapports de développement durable des sociétés (disponibles sur les sites), de contacter les marques pour en savoir plus sur leurs actions et ainsi faire des choix plus engagés.

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