Comment le confinement a créé de nouveaux codes de la beauté

Le temps, on en a tou·tes eu au printemps dernier. On a au moins eu celui de se regarder dans le miroir et, alors qu’on n’allait ni au bureau ni retrouver des amis pour dîner, de faire le choix de repenser sa routine beauté.

Les premiers jours, on a goûté à un certain laisser-aller. Puis, la vie sociale se déplaçant du réel au virtuel, il a fallu se reprendre. Mais la raison de ce sursaut était bien plus profonde. « Est apparu quelque chose d’extrêmement fort : la notion du beau pour soi, constate le spécialiste en prospective Pierre Bisseuil, cofondateur de The Prospectivists. On a pris conscience que soigner son apparence est une pulsion vitale qui nourrit l’estime de soi. On expérimentait déjà cet effet de résilience de la beauté dans le monde de l’hôpital. Le confinement a permis à tou·tes de l’appréhender de façon intime et profonde. »

De la Beauté oui, mais qui a du sens

Si le secteur a comme beaucoup d’autres été malmené, les ventes ne se sont pas effondrées, loin de là. « Nous avons noté une forte croissance en termes d’achats de produits de soin, qui souligne sans aucun doute l’envie de s’occuper de soi, ainsi qu’une augmentation des achats plus responsables. La demande de produits à base d’ingrédients d’origine naturelle et/ou avec un impact réduit sur l’environnement a nettement progressé », constate Emmanuelle Cartier, directrice générale offre et image Sephora.

La crise a mis au cœur de nos vies le souci du soin de soi mais aussi des autres et de la planète. Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise du Crédoc, le confirme : « La préoccupation pour l’environnement, qui s’est très fortement accélérée depuis 2015, a encore augmenté avec le confinement pour devenir la première préoccupation des Français·es devant la sécurité et les maladies graves, même en présence du coronavirus. »

Le·a consommateur·rice attend plus que jamais des marques qu’elles proposent des produits qui fassent sens. L’introspection contrainte provoquée par le confinement nous a confronté·es à nos choix de vie et à ceux de notre consommation. Qui n’a pas eu envie de faire du tri dans ses placards ? Qui n’a pas eu la sensation de vivre dans le trop ? Cette période qui nous a touché·es profondément amène une grande partie d’entre nous vers une sobriété choisie. Le bonheur dans l’abondance a pris du plomb dans l’aile.

Il en faut peu pour être heureux.ses ?

« On dit qu’il faut trente jours pour changer ses habitudes. Nous en avons eu soixante pour nous rendre compte qu’on n’avait peut-être pas besoin de consommer autant pour être heureux et que d’acheter en conscience et de faire des choix procurait une autre forme de gratification », souligne Pascale Brousse, fondatrice de l’agence prospective Trend Sourcing. Selon Pascale Hébel, la population est plus que jamais partagée en deux, entre ceux·lles qui n’en ont pas fini avec la surconsommation héritée des années 70 et ceux·lles qui se tournent vers une simplicité volontaire.

« Face à cela, les marques doivent se poser la question : vont-elles continuer à dilapider les ressources, à multiplier l’offre sur des choses qui ne sont pas des innovations, à faire des lancements, parfois inintéressants, juste pour occuper du territoire sur les linéaires ? Ou vont-elles produire avec plus de sens et de frugalité pour répondre à des besoins essentiels. Les lancements de produits ne doivent plus être pensés sur des rythmes saisonniers mais sur des innovations de rupture dans une logique de sobriété qui réconcilie le moins avec le bonheur », estime Pierre Bisseuil.

La mode montre l’exemple, notamment avec Alessandro Michele, le directeur artistique de Gucci, qui a annoncé en mai dernier rompre avec le calendrier de l’industrie et sa « performativité excessive » sans « raison d’être ».

Un besoin de produits responsables 

Si le rythme des lancements cosmétiques n’a pas encore vraiment ralenti, la façon de produire est en pleine mutation depuis déjà plusieurs années et la crise sanitaire aura permis de conforter les marques dans la direction choisie.

« Jusqu’à présent, nous cherchions à diminuer notre impact par rapport à ce que l’on faisait, à faire moins mal en somme. Aujourd’hui, nous voulons aller plus loin et réduire notre impact par rapport à ce que nous pesons sur la planète. Cela concerne notre consommation d’eau, nos émissions de CO 2, notre consommation des ressources naturelles mais aussi l’impact de nos fournisseurs, des sites de distribution, de l’usage des produits par le·a consomma-teur·rice », annonce Alexandra Palt, directrice générale RSE et de la Fondation L’Oréal.

L’enseigne Sephora a décidé de mieux accompagner ses client·es sou-cieux·ses d’une consommation plus responsable. « En septembre, un nouveau programme appelé Good for est officiellement lancé. Il permet d’identifier par des petits labels les produits de soin et de maquillage répondant à différents critères responsables : Good for you regroupe tous les produits dont les formules sont composées avec un minimum de 90 % d’ingrédients d’origine naturelle. Good for a better planet, tous les produits dont les emballages sont écoconçus ou constitués de matières premières durables », détaille Emmanuelle Cartier.

Pour Pascale Brousse, ce mouvement de fond devrait aussi être une opportunité pour les « petits » acteurs du secteur de se faire remarquer : « Comme en alimentaire, on va voir émerger des marques cosmétiques qui soutiennent le local, les petit·es produc-teur·rices. » Avec ses produits Exertier aux actifs des Alpes et le développement de sa ferme en permaculture, Julie Barnay-Exertier a plus que jamais la conviction d’être dans le juste et de pouvoir séduire un public de plus en plus large, tout comme Nicolas Gerlier, le fondateur de la marque made in France La Bouche Rouge, qui, à côté de sa proposition de rouges à lèvres, lance cette rentrée une nouvelle collection de maquillage écoresponsable pour le teint et les yeux.

En revanche, la crise sanitaire et la peur du virus ont aussi provoqué un autre phénomène : le besoin de produits sûrs. Les formules sans conservateurs risquent donc de perdre de leur attrait, de même que certains types de packagings jugés moins aptes à préserver des contaminations. « Nous avions prévu de lancer notre nouveauté, la Crème de Nuit Éclat Anti-Taches, uniquement en pot. Mais face à la demande, nous développons également un format en flacon », commente Arnaud Meysselle, CEO de Ren Skincare.

Une beauté plus globale et digitalisée 

Le contenu des salles de bain change, la façon de faire ses courses aussi. Déjà en plein essor avant la crise du Covid-19, la digitalisation est passée à la vitesse supérieure. « On a assisté à une véritable ‘accélération’, qui devrait durer », constate Hervé Navellou, directeur général L’Oréal France. Les ventes en ligne ont explosé et personne n’envisage de retour en arrière. Comme en Asie, le point de vente physique n’est amené à perdurer que s’il propose une véritable expérience.

« Tout un pan de la population, qui jusqu’alors n’était pas connecté, a découvert le monde digital, a eu le temps de l’expérimenter, de le dédramatiser et de profiter de tous ses avantages », constate Frédéric Charpentier, directeur de la communication de Shiseido. Pour séduire, tout l’enjeu pour les sites d’enseignes et de marques est aujourd’hui de dépasser la simple plateforme marchande. « Plus le·a consommateur·rice passe du temps sur un site, plus cela crée de la valeur. La bataille ne se fait pas sur les produits mais sur les contenus qui doivent être éditorialisés », poursuit-il.

Au-delà des informations et des conseils autour des différentes références, c’est une nouvelle forme de prise de parole qui s’est installée. « La beauté a évolué vers une dimension plus globale, avec la construction d’écosystèmes pertinents qui multiplient les portes d’entrée sur la beauté : yoga, cuisine, méditation, talks, notamment à travers des lives quotidiens », constate Mathilde Thomas, la fondatrice de Caudalie.

En communiquant de façon directe avec leur clientèle, les marques ont renforcé le phénomène des communautés et ont (en partie) répondu au besoin de sens et de transparence. « Les consommateur·rices rejettent aujourd’hui les discours faits de sur-promesses, ils veulent de l’authenticité et de la proximité », résume Hervé Navellou.

Ce besoin de communication vraie ira-t-il jusqu’à enterrer la pub traditionnelle avec ses égéries superstars ? « Je pense que la cohabitation de différents modèles de communication s’accélère. Les égéries seront toujours présentes mais sollicitées de manière différente », poursuit-il. La vidéo d’Eva Longoria faisant ses racines chez elle avec Excellence Crème de L’Oréal Paris devrait donner des idées aux concurrents.

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